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Les élites et l’investissement philanthropique

Le XXIé siècle a connu un essor de la philanthropie dans les pays dits développés comme rarement auparavant. D’après Leferve (2015) au Canada uniquement, le nombre de fondations philanthropiques entre 1994 et 2014 a augmenté de 70%. Il va sans dire que cette explosion du nombre de fondations familiales a été largement permise par une période d’industrialisation et par l’enrichissement d’entrepreneurs et d’une classe sociale élevée ainsi que par le renforcement d’inégalités socio-économiques déjà présentes.

Un rapide développement de nouveaux secteurs économiques donc, a permis à une poignée d’individus d’accumuler des richesses telles qu’aujourd’hui les fondations qu’ils créent remuent d’importantes sommes d’argent. Aux États-Unis, le nombre de fondations d’individus ou de familles florissent majoritairement, contrairement à l’Europe, qui tarde à s’engager sur le terrain. Cette différence peut s’expliquer par un capital accumulé par les individus depuis peu de temps, et donc une liberté de disposer de ses biens, par opposition aux grandes familles européennes, où la transmission de l’héritage reste primordiale. 

Comme le mentionnent Depecker, Deplaude et Larchet dans leur livre “La philanthropie comme investissement”, paru en 2018 dans Politix, la philanthropie vue de la perspective des élites économiques doit être comprise comme un investissement, non seulement par le transfert d’un capital économique en un capital social, culturel ou environnemental, mais aussi par les bénéfices que les dons apportent aux fondations et aux donateurs eux-même, plus qu’au receveurs. La philanthropie corporative et venue d’une élite doit donc, d’après eux, ne pas être considérée comme un acte désintéressée, charitable. Elle devrait, dans ce cas, être considérée au contraire comme une stratégie, un moyen de renforcer l’accumulation de capital, qu’il soit économique, social, culturel ou encore environnemental. 

La perspective intéressante qu’apporte ici l’article de recherche, est la volonté des chercheurs non pas d’apporter une nouvelle définition à la philanthropie, mais plutôt de se concentrer sur « les usages élitaires de celle-ci, […], (comme) stratégie, consciente ou non dont disposent les élites […] pour assurer les conditions de leur reproduction, mais sans s’y limiter ». (Depecker, Déplaude, Larchet, 2018)

De grandes questions résident sur ce sujet et beaucoup de points de vue s’opposent. Quel est l’impact réel de cette philanthropie ‘élitiste’ sur les classes dites plus populaires? À quel point cette philanthropie stratégique influence-t-elle les liens entre classes sociales, et ne renforce-t-elle pas le clivage inégalitaire déjà ancré? Si la philanthropie devient un investissement, une stratégie, peut-elle encore être considérée comme acte désintéressé? Peut-on vraiment croire à un capitalisme vertueux comme le mentionne Hénaff en 2003 dans “La nouvelle Philanthropie capitaliste” ou au retour social sur investissement avancé par Abélès? 

Toutes ces questions font l’objet de nombreux débats et rendent le sujet de la philanthropie de nos jours riche et, assez paradoxalement, plutôt peu exploré. 

Sources

Depecker, T., Déplaude, M. & Larchet, N. (2018). La philanthropie comme investissement: Contribution à l’étude des stratégies de reproduction et de légitimation des élites économiques. Politix, 1(1), 9-27. https://doi.org/10.3917/pox.121.0009

Hénaff, M. (2005),  « La nouvelle philanthropie capitaliste », L’Homme [En ligne], 167-168, URL : http://journals.openedition.org/lhomme/21558 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lhomme.21558


Lefèvre S. (2015), « Pour une approche sociopolitique de la philanthropie financière : plaidoyer pour un programme de recherche », Politique et sociétés, 34 (2), p. 62-63.

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